Les mythophonies picturales de Sighanda

Un monde grouillant de vie et de nature, des êtres marins et félins traduits en intelligences et énergies cosmiques, des hybridations zoomorphes entre le boisé et l’aquatique : le monde pictural de Sighanda évolue de manière cohérente entre la musique, la philosophie et la peinture. Forte de son expérience d’interprète, de compositrice et de musicienne, Sighanda traduit toutes ses sensations sonores dans le visuel, dense de vibrations et d’ondes magnétiques dignes des expériences picturales les plus ataviques et les plus récentes. Le mouvement mélodique de son pinceau, vibrant de transparences et de lumière, confirme qu’entre le son et la couleur il n’y a qu’une différence dans le nombre d’oscillations, comme Steiner, Blavatsky et Schuré l’avaient déjà supposé. Ainsi, dans ses “mythophonies” picturales, où l’infiniment petit et l’immensément macroscopique se côtoient, des formes biologiques anciennes prennent vie et se transforment en êtres d’une autre nature.

Comme dans le mythe, la métamorphose et la régénération ne se limitent pas à la transformation d’entités qui se transcendent les unes les autres, mais embrassent, entre le fantastique et le littéraire, la saveur des légendes anciennes souvent apparentées au monde classique et, en même temps, pas très éloignées du monde nordique. Le seul élément unificateur est l’évolution continue, que nous observons avec étonnement, de la phase larvaire à la phase
adulte des insectes, amphibiens et mollusques, en dieux et héros mythiques qui nous étonnent et nous admonestent avec toute leur charge symbolique, allusivement édifiante.

Un symbolisme abstrait ou un abstractionnisme symbolique, celui de Sighanda, digne des détails les plus modernes de Moreau, avec son arabesque chinée, ou des suggestions plus rêveuses de Redon, et pourtant, en même temps, authentiquement atavique. Comme un “primitif”, en effet, Sighanda mélange à l’eau des pigments qu’elle prélève directement sur des cratères volcaniques, des roches tufacées, des lichens alpins, des boues de rivière ou des argiles africaines qu’elle trouve au cours de ses nombreux voyages, passant comme un ancien Égyptien ou un Crétois raffiné d’un scénario à l’autre. Sa peinture est un condensé cohérent et concis de toute son expérience de vie : elle est le reflet heureux de ses voyages inlassables, de ses incursions philosophiques, de sa curiosité de carnettiste et de ses recherches vocalement picturales. Car s’il y a plusieurs manifestations, comme le disait Horace, une seule est l’Art.

Barbara Aniello
Critique d’art

LE SYNDROME DE DAPHNE

Sighanda vit en contact étroit avec la nature dans les Alpes suisses. Sa recherche picturale s’élabore à partir des impressions que l’environnement proche transmet aux sens. L’interaction entre l’environnement et l’individu dans un contexte faiblement urbanisé est diamétralement opposée à celle de la métropole. Là où c’est l’environnement qui façonne l’individu, ici la domination de l’aspect naturel est prédominante au point de rendre possible l’annulation de son effet sur la vie quotidienne. 

Le syndrôme de Daphné est le projet, dans lequel cette réflexion trouve son expression dans des œuvres de grand format sur papier avec pigments et graphite. L’inspiration initiale vient de la comparaison entre les forces naturelles et la nature humaine exprimée dans les Métamorphoses d’Ovide et veut poursuivre avec une analyse des réflexions que les artistes du passé ont faites sur le même sujet. Daphne représente pour Sighanda le symbole d’une société en quête d’une décroissance qui mène de plus en plus à unir l’homme à la nature fuyant le chaos.